Les implants cochléaires pour les nuls (et aussi les professionnels)
Ana Sodan – directrice de l’école d’audioprothèse d’Aix-Marseille, audioprothésiste Audition Conseil et hôpital de la Conception, Marseille – et Stéphane Gardula – médecin ORL, chef de clinique assistant à l’hôpital de la Conception – ont proposé une conférence façon « C’est pas sorcier » (en référence au programme télé de vulgarisation scientifique), lors des Assises Face et Cou 2025 de Cannes. Cette conférence avait pour but de permettre aux novices de comprendre les bases des implants cochléaires, et aux connaisseurs d’appréhender les différentes avancées technologiques récentes des trois marques proposant ce type d’implant. Audio infos propose un résumé pour les absents.
Un implant révolutionnaire… mais un son métallique
L’implant cochléaire a révolutionné le monde de l’audition dans les années 1980. Il apportait enfin une solution aux personnes sourdes, atteignant les limites techniques de l’appareillage traditionnel, sous la forme d’un appareil implanté chirurgicalement directement dans la cochlée. Depuis, les avancées technologiques ont été nombreuses pour ces appareils, mais ils présentent encore de nombreux défauts que les marques tentent encore de combler.
Les implants cochléaires présentent un processeur externe, posé sur l’oreille, qui reçoit le son et l’envoie ensuite à l’antenne, correspondant à la partie ronde externe posée sur le crâne. Le signal est ensuite transmis à la partie interne, située sous la peau, au même endroit. Cet élément est composé d’un aimant, destiné à maintenir l’antenne en place, et d’un porte-électrodes, sorte de long fil introduit dans la cochlée et parcouru de petites électrodes.
Cochlear
Les bases du fonctionnement
Les grands principes de fonctionnement des implants cochléaires sont les mêmes, quelle que soit la marque. L’appareil se compose d’un processeur externe, posé sur l’oreille, qui reçoit le son et le transforme en information numérique. Il envoie ensuite cette information à l’antenne, correspondant à la partie ronde externe posée sur le crâne. Puis, le signal est transmis à la partie interne, située sous la peau au même endroit. Cet élément est composé d’un aimant, destiné à maintenir l’antenne en place, et d’un porte-électrodes, sorte de long fil introduit dans la cochlée et parcouru de petites électrodes (les petits points sur les images). Chaque petite électrode est capable d’envoyer des petites décharges électriques. Ces impulsions créent un influx nerveux au niveau du nerf auditif, qui, lors d’une stimulation, va transmettre l’information jusqu’au cortex auditif, créant ainsi la sensation sonore. Chaque électrode stimule les cellules situées en face d’elle, qui correspondent à une fréquence sonore spécifique.
Chaque électrode (les petits points sur l’image) envoie des décharges électriques.
Med-ElAu préalable, la parole a été découpée en plusieurs bandes fréquentielles, en fonction du nombre d’électrodes. La fréquence et la puissance extraite de chaque bande sont utilisées pour déterminer l’impulsion électrique émise par chacune des électrodes. Ainsi, une électrode située à l’entrée de la cochlée (base), où se trouvent les hautes fréquences, donnera une sensation auditive de son aigu, tandis que celle au fond (apex) transmettra une sensation auditive de son grave. Malheureusement, le son restitué parait métallique, la compréhension est parfois hasardeuse et la musique n’est pas restituée.
Les électrodes émettent des impulsions électriques qui créent un influx nerveux au niveau du nerf auditif.
Med-El
Les fibres du nerf auditif, stimulées par les impulsions électriques des électrodes, vont transmettre l’information jusqu’au cortex auditif, créant ainsi la sensation sonore.
Med-El
Faire communiquer les oreilles
Autre difficulté, un patient est souvent appareillé sur l’autre oreille. Or, lorsqu’un son est émis, il arrive plus vite à l’implant qu’à l’appareil auditif de l’autre oreille, car il stimule directement le nerf auditif, alors que l’aide auditive nécessite un trajet dans l’oreille interne.
Stéphane Gardula, médecin ORL, chef de clinique assistant à l’hôpital de la Conception (Marseille) et Ana Sodan, audioprothésiste chez Audition Conseil et à l’hôpital de la Conception (Marseille), directrice de l’école d’audioprothèse d’Aix-Marseille, lors de leur présentation aux Assises Face et Cou de Cannes 2025.
CCPour pallier cette difficulté, Med-El a introduit un décalage dans ses implants pour les synchroniser avec l’aide auditive. Advanced Bionics (AB), de son côté, a choisi la stratégie d’avoir la même maison mère pour l’implant et l’aide auditive : Sonova est propriétaire non seulement d’AB, mais aussi de la marque d’aide auditive Phonak. Ainsi, les deux appareils se règlent en même temps avec un mode d’adaptation bimodal. Le traitement du signal est commun, et la directivité synchronisée. Enfin, Cochlear a signé un accord avec GN Hearing, depuis 2015, pour que ses implants fonctionnent avec les aides auditives Resound du fabricant danois.
Un son rudimentaire
Pourquoi le son restitué par l’implant parait-il si artificiel ? D’abord parce qu’il manque une partie de l’information. Seule l’enveloppe externe de la parole est captée, alors qu’elle contient également une structure fine, correspondant aux fluctuations rapides présentes à l’intérieur de la voix, responsables notamment du timbre de voix et de la musicalité. Certes, l’enveloppe de la parole est ce qu’on entend le plus, donc le plus important à conserver, mais l’absence de la structure fine fait perdre le raffinement.
Seule l’enveloppe de la parole est extraite par les implants cochléaires, la structure fine n’est pas prise en compte.
DRSeule l’enveloppe de la parole est extraite par les implants cochléaires, la structure fine n’est pas prise en compte.
DRDe plus, comme avec les aides auditives classiques, le bruit parasite la parole. Dans les environnements bruyants, l’appareil doit séparer la parole du bruit pour permettre au porteur de comprendre. Or les méthodes employées pour isoler la parole sont loin d’être parfaites. Le signal va être traité pour réduire le bruit et le vent, le micro va amplifier ce qui se trouve devant le porteur dans une direction précise… cette stratégie, également utilisée pour les aides auditives classiques, présente des limites pour aider à la compréhension, en particulier lorsque l’interlocuteur n’est pas en face ou pour les enfants, qui doivent pouvoir entendre ce qui se passe autour d’eux, pour apprendre de manière passive.
Toutefois, le principal point faible des implants cochléaires se situe surtout au niveau du système de stimulation du nerf auditif par les électrodes. En effet, en s’enroulant dans la cochlée, le fil porte-électrodes est situé plus ou moins loin du nerf auditif, ce qui rend l’impulsion électrique imprécise. Par ailleurs, le patient possède des cellules auditives parfois encore partiellement actives dans la zone stimulée, selon l’état de son oreille, ce qui provoque des effets inattendus.
Actuellement, pour s’adapter à ces variations, le professionnel règle la puissance et la durée de l’impulsion de chaque électrode, en demandant au patient ce qu’il perçoit du son de manière subjective, pour trouver le meilleur compromis possible, mais ces réglages ont leurs limites : la distance entre l’électrode et le nerf auditif élargit beaucoup la zone stimulée, provoquant des interactions entre les électrodes. L’effet sur le son peut se comparer à jouer du piano avec des gants de boxe plutôt qu’avec ses doigts.
Chaque électrode est placée en face de cellules correspondant à une fréquence sonore particulière. Cependant, plusieurs cellules peuvent se trouver en face d’une électrode et, les électrodes étant éloignées, deux d’entre elles peuvent stimuler la même cellule en même temps.
DRAinsi, c’est sur la méthode de stimulation de la cochlée que les fabricants concentrent actuellement leurs efforts d’amélioration, chacun avec des stratégies différentes.
Rapprocher les électrodes du nerf auditif
Une des stratégies, celle de Cochlear et d’AB, est de rapprocher le porte-électrodes de la paroi de la cochlée. Avant, l’électrode était droite et s’enroulait sur le mur latéral de la cochlée lorsqu’elle était insérée, car son élasticité la plaçait à cet endroit. Cochlear et AB ont développé des porte-électrodes préformés : les électrodes vont venir se « cramponner » sur la face intérieure de la cochlée, qui est le lieu où se trouve le nerf auditif. Ces porte-électrodes périmodulaires – c’est leur nom – existent depuis 2017.
Porte-électrodes classique, positionné vers l’extérieur de la cochlée (gauche) et modèle prémodulaire, plaqué sur l’intérieur de la cochlée, là où se situe le contact avec le nerf auditif (droite).
DR« Elles ont besoin de « crier » beaucoup moins fort, car elles sont au contact du nerf auditif, alors qu’une électrode de l’autre côté de la pièce va être obligée de « crier » beaucoup plus fort, ce qui peut générer plus d’interactions, déranger les voisins, etc. », explique Ana Sodan.
Cette proximité permet également d’émettre une impulsion plus rapide et, par là, de gagner en possibilité de stimulation des autres électrodes. Principal inconvénient, ces porte-électrodes préformés sont un peu rigides, donc un peu plus difficiles à insérer, et présentent donc un risque d’abimer la cochlée lors de l’insertion. Un autre problème réside dans la simulation du nerf facial. La proximité provoque la stimulation du nerf facial en même temps que celle du nerf auditif, déformant un peu l’expression du visage du côté de l’implant. La stimulation de certaines électrodes doit être réduite pour rendre une expression normale au patient. « Cela arrive souvent dans les cas de patients avec des otospongioses », explique Stéphane Gardula.
Augmenter le nombre d’électrodes ?
Une cochlée saine revient à avoir 40 électrodes naturelles, alors qu’un implant en a actuellement entre 12 et 22, selon la marque et le modèle. Est-ce qu’avoir moins d’électrodes pose un problème pour la compréhension ? À priori, non. Plusieurs chercheurs, dont Shannon, et al. en 1995, et Mesnildrey & Macherey en 2015, ont montré que cela ne gênait pas la compréhension dans le calme1,2. Selon ces recherches, il est possible de comprendre une phrase à partir de 4 électrodes, même si le son est alors très métallique et grésillant.
En ajoutant des découpages fréquentiels et les électrodes correspondantes, Friesen, et al., ont montré que plus le nombre d’électrodes augmentait, plus la compréhension s’améliorait, avec un plafond à partir de 10 électrodes3. Les marques d’implant se sont longtemps fondées sur ces résultats.
Cependant, en 2017, cette limite de 10 électrodes utiles a été remise en cause pour la compréhension dans le bruit par l’étude Croghan, et al.4, qui a montré que celle-ci augmentait avec le nombre d’électrodes, contrairement à la compréhension dans le calme qui stagnait à partir de 10. Malgré tout, ces résultats ont aussi indiqué que ces améliorations étaient variables selon les individus.
La raison ? Lorsque le nombre d’électrodes augmente, la diversité des fibres stimulées augmente aussi. Chaque électrode va stimuler un nombre important de fibres, dont certaines seront même parfois stimulées par deux électrodes voisines, selon l’état de la cochlée de chaque patient. Cela crée un effet de diaphonie qui peut limiter la compréhension de certaines personnes, même si le nombre d’électrodes augmente.
AB a pris le parti d’utiliser cette interaction entre électrodes : le signal est découpé en 16 (son implant disposant de 16 électrodes), et la stratégie consiste à envoyer volontairement une impulsion simultanément sur deux électrodes voisines, afin de stimuler aussi la zone entre les deux électrodes. Cela crée une sorte de canal virtuel supplémentaire et affine les fréquences.
Adapter le porte-électrodes à chaque patient ?
Une autre logique consiste à aller chercher toute la cochlée, jusqu’au fond, que n’atteignent pas les porte-électrodes traditionnels – c’est la stratégie de Med-El. Il faut pour cela prendre en compte la forme de la cochlée, qui rétrécit vers son apex, et sa longueur, qui est différente d’un individu à l’autre, « comme certaines personnes ont un long nez et d’autres un petit, illustre Stéphane Gardula. À cet endroit se trouve parfois l’audition résiduelle que l’on cherche à préserver. »
La stratégie de Med-El repose sur des porte-électrodes adaptés à la cochlée du patient pour atteindre toutes les fréquences, notamment les graves.
Med-ElPar ailleurs, dans les graves, un phénomène intéressant permet de récupérer de la finesse dans les sons : ainsi, Med-El a développé toute une gamme de fil porte-électrodes de tailles différentes, ainsi qu’un logiciel qui permet de visualiser l’image 3D de la cochlée de chaque patient. Avant l’opération, le logiciel détermine lui-même le modèle de porte-électrodes le plus adapté et, après l’opération, il propose un préréglage en fonction de l’insertion angulaire. «Cette stratégie ne change pas la face du monde, mais améliore un peu la musicalité de la voix et de la musique », explique Stéphane Gardula. Ce fil porte-électrodes de Med-El a la particularité d’être très souple et de présenter moins de risque à l’insertion. La marque cherche également à minimiser ces risques en proposant au chirurgien d’utiliser son robot d’aide à la chirurgie Otodrive. Cet outil, développé en interne par Med-El, vient d’être utilisé pour la première fois en France pour une implantation, au CHU de Grenoble, en janvier 2025. Toutefois, les porte-électrodes de Med-El ne sont pas périmodulaires (rapprochés du nerf auditif) – ils présentent donc les problèmes d’interaction entre électrodes mentionnés plus haut.
Utiliser la lumière ou les ultrasons
L’idée de certains chercheurs est de créer des implants « optogénétique » (Dieter, et al.)5 : plutôt que d’envoyer des impulsions électriques pour stimuler les fibres du nerf auditif, il s’agit d’envoyer de la lumière. Au lieu d’avoir une dizaine d’électrodes, l’implant en possèderait alors une centaine. Les faisceaux seraient plus directifs et présenteraient moins d’interférences entre électrodes, mais, pour cela, il faut adapter le génome des cellules du nerf auditif, afin de les rendre réceptives à cette lumière. Ce type d’implant est encore au stade de recherche : un essai clinique sur l’humain est prévu pour 2027, si tout se passe bien.
Des recherches sont menées pour concevoir des implants utilisant la lumière comme stimulateur du nerf auditif. Pour cela, il faut modifier le génome des fibres auditives afin de les rendre sensibles à cette lumière, sur le principe de l’optogénétique.
©K. Deisseroth, Stanford UniversityUn autre implant proposé par les chercheurs est celui à ultrasons. En lieu et place d’électrodes, cet implant comporte des petits hautparleurs qui vont « crier » sur les fibres. « Dans tous les cas, le cerveau va se réadapter. Pendant un an, les patients vont aller deux fois par semaine chez l’orthophoniste. Ils vont finir par mieux comprendre. Mais ce n’est pas parce que la plasticité cérébrale existe qu’il ne faut pas améliorer les implants, notamment pour entendre la musique », conclut Stéphane Gardula.
1Shannon, et al., in Cochlear Implants: Auditory Prostheses and Electric Hearing. 2004;334-376. doi: 10.1007/978-0-387-22585-2_8
2Mesnildrey & Macherey, Hear Res. 2015 Jan;319:Pages 32-47. doi: 10.1016/j.heares.2014.11.001.
3Friesen, et al., J Acoust Soc Am. 2001 Aug 1;110:1150-63. doi: 10.1121/1.1381538.
4Croghan, et al., J Acoust Soc Am. 2017 Dec 5;142:EL537-EL543. doi: 10.1121/1.5016044.
5Dieter, et al., EMBO Mol Med. 2020 Mar 30;12(4):e11618. doi: 10.15252/emmm.201911618.